Tu connais ces matins où ça veut pas ? Moi j’en ai trop des matins comme ça. Attaque en règle des mômes qui lancent une offensive dans ton lit. À peine finalement endormis que le premier d’entre eux est réveillé. Court à fond dans le couloir, monte sur le lit, te piétine sans pitié avant de prononcer dans ton oreille les mots que tu redoutais :
« Papaaaaaaa on peut jouer ? »
Toi, gentil :
« Oui oui retourne dans ta chambre pour l’instant et on verra plus tard… arrrrff »
Tu crois avoir gagné quelques minutes, mais c’est sans compter sur le reste de la bande qui débarque en renfort. À cinq dans le lit, les petits te secouent et te font des bisous (genre « oublies pas qu’on t’aime papa !!!! »). Toi tu fais le mort, en espérant que ta femme se lève à ta place, tandis qu’elle fait pareil de son côté.
Tu as beau faire semblant de ronfler. Rien n’y fait.
Las, tu finis par te traîner lamentablement dans le salon, poussé par les enfants, avant de finalement t’affaler dans le canapé, éreinté d’un long périple qui, en termes cliniques, s’apparenterait plus au baveux transfert latéral d’un gastéropode (un escargot, avant que tu demandes) qu’à une marche humaine. À ce stade de ta journée, le déplacement d’un point A (dodo) à un point B (léthargie primaire) constitue pour toi un progrès majeur. Dans la dernière phrase, « majeur » est le mot important.
Chahuté par les petits, qui se sont mis de part et d’autre de ce qui, les secousses t’aident à t’en rendre compte, semble être ton corps, tu finis par entrouvrir les yeux pour voir se profiler, à quelques mètres de toi, celle qui vient te sauver de tes tourments : la télécommande.
Dans ta tête le plan est clair : tu allumes la télé, zappes jusqu’à trouver un programme qui les anesthésie, les colles tous devant l’écran, t’éclipses en scred pour te replier vers la chambre où tu pourras te remettre en mode camouflage sous la couette et dormir jusqu’à en avoir mal à la tête. Parfait. Encore étonné de la fulgurance de ton idée (qui, tu dois au moins te l’avouer à toi même, est la même chaque jour de grasse-mat’ théorique), tu es surpris par ce petit pincement amer, juste là derrière ton oreille droite. C’est ta conscience.
Ça et aussi le fait qu’après avoir lu TV Lobotomie (que tu dois chroniquer depuis des semaines pour FoulExpress.com), tu réalises qu’il serait criminel de mettre des enfants devant une télé juste pour t’en débarrasser ce qui, pour quelqu’un qui a passé sa vie à attendre d’être papa, représente un affligeant paradoxe. Les paradoxes, rappelle-toi, c’est l’un des écueils contre lesquels est censé te prémunir ton esprit (que tu crois) rationnel. Dans ton cas, ce dernier qualificatif s’applique plutôt à ta capacité à découper les plats en rations égales, sauf la tienne qui finit toujours plus grosse que celle des autres (mais ça c’est une autre histoire…).
Il faut dire aussi que les perturbations d’ordre quasi sismiques que t’infligent tes enfants (passés en quelques secondes du mode « Ricky ou la belle vie » à la position « Mowgli, enfant de la jungle ») ne t’aident pas à réfléchir.
Tu décides alors de lancer le plan B : réveiller ta femme, façon traître :
« les enfants, venez on va câliner mamaaaaaan !!!! »
Les gosses, à cheval sur la malheureuse :
« Maman on t’aime !! Maman on t’aime !! Mamaaaaaaaaaaan ! »
Elle :
« Grrrrrrrrr… »
Pendant ce temps tu essaies de faire genre, pour masquer ton infamie :
« Doucement les enfants, maman est encore un peu fatiguée, aidez la à se réveiller avec des bisous. »
Tandis que tu te glisse furtivement sous un coin de la couette en direction de l’extrémité Nord-Ouest du lit où, une fois positionné, tu restes tapi comme un castor prêt à hiberner, tu entends venir une espèce de bruit sourd avant un grand PAFF !!! Cette mélodie tu ne la connais que trop bien : c’est celle que joue le polochon renforcé de ton épouse avant de venir s’écraser violemment sur ta figure. Tu avoueras que tu l’as bien cherché.
Encore dans les prairies et verts pâturages de KOland (une destination classiquement desservie par Air Clubber Lang), tu entends ta femme te dire à l’oreille ces mots doux :
« Merci chéri. Maintenant qu’on est tous réveillés, tu peux aller chercher le pain. »
La tête de travers, le dos en vrac, tu retrouves cette sensation récurrente à chaque fois que tu te risques à t’attaquer à ton épouse : l’humiliation de la défaite…