9 septembre 2009, 18h01, dans le train pour Lille
Bon, voilà qui est fait.
Foul Express est à l’imprimerie à l’heure où j’écris ces lignes. J’ai reçu hier le « bon-à-tirer » (le « BAT ») pour validation. Le BAT est l’exemplaire zéro d’un livre prêt à être publié, comme un test pour vérifier que tout est en ordre : la couverture, le code barre, la mise en page, la table des matières, etc.
Les dernières semaines ont été rudes et il a fallu travailler vite et beaucoup pour arriver à boucler le livre en temps et en heure. Quelques nuits et week-ends plus tard, voici entre mes mains le fruit de notre travail. Richard est à Madrid et Mehdi à Maastricht donc je leur transmets par écrans interposés mes premières impressions : je suis très content, al hamdulillah et j’ai le sentiment qu’une page est tournée, au sens propre comme au figuré. Le fait que ces quelques années de ma vie soient consignées dans un livre qu’on peut ouvrir, fermer, ranger, c’est assez étrange comme sensation.
Mon fils de 3 ans a fait quelques corrections au crayon à papier. Cet exemplaire lui appartient, donc c’est son droit. Quant à moi, j’évite d’y relire quoi que ce soit, parce qu’à chaque fois je trouve quelque chose à corriger ou à modifier.
Lundi, j’ai passé un long moment avec Fani, 30 ans d’expérience dans l’édition, qui a accepté de me rencontrer pour me conseiller et répondre à mes questions. Si je l’ai sollicitée, c’est que j’ai besoin d’y voir clair dans ce qu’on appelle « le marché de l’édition ». Moi qui m’interrogeais sur la suite du livre… Si Foul Express relate les tribulations d’un ingénieur dans le dangereux monde de la finance, les dernières semaines marquent les péripéties d’un auteur débutant dans le périlleux monde de l’édition.
Périlleux, l’univers des livres l’est moins que celui des banques. Les deux sont pourtant des environnements où l’argent est en première ligne dans les critères de décision.
Comme je l’expliquai à Fani, je viens d’un monde où les gens qui écrivent des livres n’existent que dans les films.
Dans ce monde, l’auteur-type a des cheveux longs et une chemise froissée. Il cherche l’inspiration au fond d’un verre et passe sa vie à découvert. Éternel insatisfait, il déchire ses feuilles en les arrachant violemment à sa machine à écrire. Le front entre les mains, l’esprit au fond du trou, il trouve le dénouement inespéré de son histoire dont un éditeur lui achète les droits pour une misère. Il meurt à 30 ans de tuberculose.
Forcément, ça ne m’a jamais donné envie d’écrire. Si on ajoute à cela ma phobie des livres et ma lenteur de lecture, on comprend que je n’étais clairement pas destiné à une carrière littéraire. A moi les mathématiques.
Pourtant, les dernières années m’ont donné ce qu’un proche appelle la rage de dire. L’envie de témoigner et de laisser une trace écrite de cette période trouble que nous traversons. J’avoue y avoir pris goût, tant et si bien que Foul Express est devenu un livre.
Une fois le livre écrit, comment trouver un éditeur ?
Bon, ça c’est la partie vraiment pénible. Il faut envoyer son manuscrit à des maisons d’éditions et attendre leur avis. Quelles maisons d’édition ? Comment s’y prendre ? Pour le savoir, je suis allé à la Fnac Saint Lazare (Oui, jusqu’à récemment je pensais que c’était un bon endroit pour acheter des livres). Là, je suis allé voir un des vendeurs à l’accueil librairie.
Marwan : Bonjour, je viens de terminer d’écrire un livre. Je prévois de le soumettre à quelques éditeurs. Pourriez-vous me conseiller ?
Vendeur : C’est un roman ou un essai ?
Marwan : Un peu des deux.
Vendeur : C’est sur quel thème ?
Marwan : Principalement la finance, mais ça parle aussi de l’Afrique, de la consommation, de la situation des Musulmans en France, de mes rêves d’enfants, etc.
Vendeur : Oulaaaaa. Vraiment je vois pas, là… Essayez d’aller voir au rayon économie.
Après quelques allers-retours entre les rayons, j’ai compris que Foul Express ne rentrait dans aucune des catégories classiques. Apparemment, il y a des passages sur l’Islam donc ça ne peut pas être en économie, des passages sur Goldorak donc ça ne peut pas être un essai, des passages sur la Palestine donc ça ne peut pas être de la littérature pour enfants, des passages qui parlent des médias donc ça ne peut pas être un roman, ce qui tombait bien parce que je n’avais pas envie d’être rangé, même sous pochette plastique dans un rayon Fnac, entre « American Vertigo » et « L’Open Space m’a tuer ».
Alors là je me suis dit : bon, ok, c’est intéressant. Je vais mettre ma paire de lunettes et passer cette histoire au rayon X économique :
Les vendeurs et les éditeurs font ce qu’ils peuvent en fonction des contraintes et des stimulations auxquelles ils sont soumis. Quelles sont-elles ?
D’abord, côté supermarché du livre, il faut vendre beaucoup pour pouvoir avoir de grands magasins (la réciproque est vraie, plus on a un grand magasin, plus on vend). Ensuite, il faut vendre des ouvrages bien médiatisés, donc bien diffusés dans les journaux, les radios et les émissions TV littéraires. Pour avoir un tel dispositif de promotion, il faut avoir ses entrées dans les médias et avoir les moyens économiques d’une large campagne de presse, donc il faut être une maison d’édition d’une certaine taille. Pour atteindre cette taille il faut vendre beaucoup donc il faut être disponible dans les supermarchés du livre.
Oui mais voilà, imaginons qu’un vendeur Fnac se dise « Tiens, il est vraiment bien ce bouquin sur lequel je suis tombé par hasard. Bizarre que personne n’en parle. Je vais le mettre sur l’étalage pour que les gens le voient. » Eh bien cet accès de zèle littéraire ne durera pas. Les commerciaux des grandes maisons d’édition maintiennent une grosse pression sur les libraires pour que leurs ouvrages soient toujours les mieux placés, les mieux stockés, les mieux vendus. Quand le libraire devient une grosse librairie et que la grosse librairie devient un supermarché du livre, leur marge de manœuvre dans les choix de vente devient légèrement favorable, mais il y a forcément des conflits entre ce qu’on a envie de recommander et ce qu’on a envie de vendre pour augmenter son chiffre d’affaires, dans un milieu de la librairie où beaucoup ont du mal à joindre les deux bouts.
C’est ce dont j’ai eu confirmation en lisant les tribulations d’un petit éditeur sur le site :
http://www.docteur-watson.com/tribulations.html
Ensuite j’ai voulu élucider un mystère (qui n’en était pas un) : le prix des livres.
Pour avoir une idée claire, si Foul Express était publié par une maison d’édition de taille sérieuse et que le prix de vente finale était de 15 euros, voici comment ce prix se décomposerait :
1 à 2 euros pour l’imprimeur
+ 7 euros pour la Fnac
+ 3 euros pour le distributeur/diffuseur
+ 2 à 3 euros pour l’éditeur
+ 1 euro pour l’auteur, dont 51% reversés au fisc
= 15 euros.
Là, je me suis dit : « Mais non, c’est pas ce que tu crois, tous ces gens ne sont pas en train de se gaver sur ton dos. Ils veulent juste dissuader les auteurs qui courent après l’argent. Parler de foul doit rester un acte désintéressé, tu comprends ? ».
Et puis j’ai revu les chiffres : « Ah oui, effectivement, tout le monde veut me rôtir. »
En supposant que je rencontre l’éditeur qui n’existe pas, qu’on trouve un terrain d’entente qui ne se trouve pas, qu’il distribue mon livre là où il ne se vendra pas, qu’il fasse de la promo dans des médias qui ne m’aimeront pas, qu’il vende 10000 copies qui ne s’achèteront pas et que je devienne l’auteur que je ne suis pas, on serait encore loin du compte.
Je n’avais jusque-là pas souhaité tirer des bénéfices de Foul Express, mais je n’accepterai pas d’être un pion d’un système de l’édition qui n’a pas grand-chose à envier au monde de la finance, pour que par ironie mon livre se retrouve à critiquer l’establishment dans ses pages et à l’enrichir dans ses comptes. Comment compter les heures et les nuits passées par Richard, Sonia, Malika, Rachida, Fabrice, Mehdi, Carine, Fateh, Caroline et tous ceux qui ont aidé, relu, corrigé, décoré, soutenu Foul Express ?
Donc très vite, l’idée d’indépendance est venue et nous avons décidé de créer les Editions Sentinelles. L’argent des ventes de Foul Express servira à monter les projets de cette maison d’éditions.
Ce premier tirage de Foul Express est donc un tirage test. Si vous soutenez ce travail, que vous pensez qu’il est utile ou que Foul Express vous semble tout simplement être un bon livre alors achetez le.
Bonne lecture.