C’est l’histoire d’une société menacée par une apocalypse nucléaire et qui se répète, comme pour se rassurer :
Jusqu’ici tout va bien.
Jusqu’ici tout va bien.
Jusqu’ici …tout va bien.
Mais ce qu’on ne réalise pas, c’est que cette attente est déjà une apocalypse en soi. Elle révèle à quel point nos pays sont dépendants du nucléaire et à quel point la gestion du risque autour des centrales est, comme en matière de finance de marché, une science empirique où les apprentis sorciers se risquent à déclarer le pire comme absolument improbable.
La catastrophe, c’est d’être dans cette situation où le monde entier regarde les réacteurs nucléaires japonais en se disant : « Fusionnera ? Fusionnera pas ? »
Pendant ce temps, les corps de milliers de Japonais jonchent les rues et sont ramassés par des soldats qui tentent, tant bien que mal, d’assurer la sécurité civile et la distribution de l’eau, vitale plus que jamais, à des innocents éreintés. Si ces courageux Japonais ont survécu au tremblement de terre le plus violent de leur histoire et au tsunami qui l’a suivi, ils sont maintenant menacés par un péril plus grand encore : la contamination par des substances hautement radioactives de leur écosystème jusque là si protégé, de leur corps et, pour certains, la mort.
Sur les écrans de télévision, les experts et les ministres continuent de distiller le discours de la mesure et mettent en scène l’illusion du contrôle. La situation serait « sans être au niveau 7 de gravité » proche de la catastrophe tandis que l’AIEA considère « très improbable » que cette crise nucléaire produise un nouveau Tchernobyl et que l’Union Européenne n’exclut pas « le pire dans les heures et les jours à venir ». Voilà une position claire.
En gros personne ne comprend ni ne mesure vraiment le risque réel de ce qui se joue à Fukushima. Avant d’aller plus loin, il faut dire un mot de la gestion des risques.
En gros, cette science est assez liée aux statistiques et aux probabilités, dans le sens où il s’agit de comprendre les événements contre lesquels on essaie de se protéger puis d’évaluer leur chance de se produire dans 1 jour, 1 mois, 1 an, …
On établit ensuite des scénarios plus ou moins probables et on définit des procédures à mettre en œuvre si l’un de ces scénarios devient réalité. Pour évaluer la qualité de ce plan d’action, on effectue ce que l’on appelle un « stress test », qui consiste à mesurer l’impact sur le système d’un choc simulé : en gros on se dit, dans le cas d’un réacteur nucléaire :
– que se passe-t-il s’il y a une panne générale d’alimentation ?
– que se passe-t-il si l’un des murs d’enceinte du réacteur se disloque ?
– que se passe-t-il si un tremblement de terre se produit ? d’amplitude 5, 6, 7 ?
– etc.
– les procédures mises en place permettent-elles de faire face à de tels problèmes.
Ce que l’on dit peu à propos de la gestion des risques, c’est qu’elle s’opère dans un univers probable, c’est à dire que les résultats qu’on tire de nos test et expériences ne sont pas des vérités absolues, mais des vérités probables assorties d’un interval de confiance. On dira ainsi, par exemple, qu’on est prémuni contre un séisme d’amplitude 6 sur l’échelle de Richter avec 99% de confiance. Fukushima nous donne une idée de ce qui se passe dans le 1% restant.
En statistiques, on appelle ce genre d’événements un black swan (un cygne noir), car il remplit les conditions suivantes :
– avant de se produire, il est considéré comme très improbable, voire quasi impossible
– quand il se produit, il a un impact majeur sur son environnement
– après qu’il se soit produit, il crée un précédent qui passe dans la culture courante.
Dans le cas du cygne noir, on a vite fait de considérer que l’exemple est trivial, car il nous paraît aujourd’hui acquis que des cygnes de couleur noire existent, chose qu’auraient réfutée les hommes avant d’en voir un.
Pas convaincus ? Accepteriez-vous alors l’idée d’un cheval bleu ?
Non, jusqu’au jour où vous en verrez un.
Pour les risques de catastrophes liés au nucléaire civil, c’est pareil. Mais, comme on doit le remarquer avec une certaine lassitude, nos gouvernants ont du mal à tirer les leçons du désastre que le peuple japonais est en train de vivre.
Ainsi, Eric Besson déclarait sans aucune honte il y a 2 jours sur France 3 que les ingénieurs nucléaires français se tenaient à la disposition du gouvernement japonais si besoin comme si, en la matière, les Japonais avaient fait preuve d’une quelconque négligence dans la gestion de leurs centrales nucléaires et avaient besoin des savants conseils d’Aréva (il est bien connu que les Japonais ont besoin des Français dans le domaine technologique). Ni lui ni notre ministre de l’écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, ne remettent en cause à aucun moment le choix du nucléaire civil comme solution énergétique de long terme. Bien sur, l’importance stratégique d’Aréva dans l’industrie française n’influe en rien l’opinion des ministres…
Mais pas de panique, citoyens japonais, car la France vous envoie un contingent d’une centaine d’hommes pour vous tirer de cette mauvaise passe, qui ont juste eu besoin de 3 jours pour préparer leurs bagages. Prenez patience, donc.
Plus de 10 000 victimes au Japon.
100 000 soldats japonais en action pour aider les sinistrés et ramasser les corps des victimes.
Et la France envoie un saupoudrage humanitaire.
Voilà qui ne ressemble pas du tout à une opération de communication.
Pour l’instant, les Japonais font face à cette épreuve qu’ils traversent avec un courage et une dignité admirables, comme ces commerces de proximité dans les petites villes qui, face à cette situation de crise, au lieu de tripler leurs tarifs pour profiter de la situation comme beaucoup l’auraient fait ailleurs, ont plutôt choisi de baisser leurs prix et de distribuer gratuitement une partie de leurs stocks.
A croire qu’ils seraient le dernier peuple sur terre à ne pas attendre le secours libérateur de nos envoyés…