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Je n’ai pas eu de doudoune Chevignon avec écrit Tog’s Unlimited. Pas de sac à dos Creeks, pas de jean Levi’s, pas de survêtement Lacoste ni d’Adidas torsion, pas d’Air Max ni de chemise Celio. Pas de Tamtam dans la poche ni de feuilles Clairefontaine dans mon cartable, pas de t-shirt Waïkiki ni de baskets L.A Gear.

Donc forcément, j’avais la rage.

C’est fou comme les objets les plus futiles peuvent prendre une importance capitale dès lors qu’ils définissent une norme, en l’occurrence celle de la popularité dans la cour de récré.

Mon fournisseur officiel de sape s’appelait Tati, ma conseillère mode était ma Maman, toujours au top même quand le compte bancaire changeait de signe. Niveau capillaire, Papa oblige, grosse touffe forever même en été. C’est difficile de trouver les mots pour dire à quel point j’avais honte des fois, pour de mauvaises raisons, et à quel point je suis fier aujourd’hui de ce qui fait mon histoire.

Une fois j’ai supplié mon père d’avoir des baskets neuves. Il est revenu tout content de Carrefour avec le trésor tant convoité : d’un blanc immaculé, montantes avec une fermeture éclair, les premières chaussures littéralement décapotables, avec écrit en gros ArtechTM.

Ce n’était pas de la marque… et donc la valeur sociale de ces chaussures, totalement décorrélée de leur valeur utilitaire, était proche de zéro.

Une autre fois j’ai acheté une paire de chaussures d’occasion à un copain de classe, 75 francs. C’étaient des Ewing 33, bien usées. Pour les retaper, je les ai peintes au Tippex. Ca laissait des traces blanches sur le sol les jours de pluie…

 

ewing

 

La même année, c’était la mode des blousons Starter, à l’image d’équipes de football américain qu’’on avait jamais vues jouer (d’ailleurs on savait même pas ce que c’était comme sport, on pensait qu’ils jouaient juste au foot, mais en parlant anglais…). Et là Maman a vu que ça me ferait plaisir, alors elle m’a acheté le plus beau blouson du monde, en cuir et velours, rouge et doré aux couleurs de l’équipe de San Francisco. Il ressemblait (presque) à ça:

49ers

Ce soir là j’ai dormi avec. Le lendemain, le jour de la revanche avait sonné, j’allais montrer à tout le monde l’ultime style dans la cours de récré, mes baskets repeintes aux pieds et mon blouson rayonnant sur le dos. A peine avais-je franchi la porte de l’école que tout le monde tapait déjà des barres de rire. J’ai pas compris tout de suite, mais un garçon de ma classe est vite venu m’expliquer :

« Oh la te-hon, les cinquante-neuf Ers ça existe pas, c’est les quarante-neuf Ers !!! »

C’est comme ça que j’ai dû apprendre à me battre, d’abord avec mes poings, ensuite avec mes mots, juste pour me défendre dans une cour de récré. Le pire n’était pas d’avoir un faux blouson, mais qu’un simple chiffre imprimé puisse faire une telle différence dans les modes de socialisation d’un enfant.

Il y a un mot pour désigner ces formes de souffrances et d’errances psychologiques imputables à des logiques de représentation erronées : l’aliénation.

Ingrats envers nos parents, inconscients des bienfaits dont nous étions (et sommes) gratifiés, incapables de dépasser le discours (déjà) matérialiste et superficiel qui nous était proposé. Nous étions prisonniers de nos propres idées, captifs de nos émotions, de nos frustrations, de nos modes.

Si toi aussi tu as déjà sniffé des basket neuves juste pour le plaisir,

Si tu détectes la présence d’un Mc Donald’s dans les parages juste à l’odeur caractéristique d’huile déshydrogénée que leur infâme cuisine dégage,

Si tu as réellement cru que des Nike Air t’aideraient à sauter plus haut,

Si tu as relevé un côté de ton pantalon en croyant que c’était le style l’année où un gars du Wu Tang Clan l’a fait dans un clip,

Si tu t’es déjà endormi un soir en rêvant de sapes qui allaient fondamentalement changer ta condition sociale au sein de l’école,

Alors tu sais de quoi je parle.

Nos logiques d’adultes ne sont aujourd’hui pas si différentes. Les marques ont changé, le cadre a changé, mais l’aliénation demeure.

Dans cette série de chroniques, j’aimerais qu’on explore ensemble ces choses qui ont fait notre enfance, et sur lesquelles il est temps de prendre un peu de recul.

Et vous, qu’est ce qui vous revient de cette époque ? Rétrospectivement, est-ce qu’il y a des choses que vous auriez voulu faire autrement ?